Documentaire alphas : le libéralisme ne nous sauvera pas
Depuis lundi, les commentaires sur le documentaire Alphas à Télé-Québec sont partout sur les médias sociaux, à la radio, dans les journaux. Se donnant le mandat de montrer la montée d’un discours masculiniste, le documentaire donne parole à deux de ces influenceurs au Québec pour présenter leur vision de la famille traditionnelle et de l’essentialisme du genre. Depuis, ces deux personnes ont été invitées à parler à Tout le monde en parle et à la radio pour continuer de présenter leur discours en le cachant derrière sa facette la plus rationnelle possible et en se déresponsabilisant de la propagande violente en évoquant leur droit de choisir un mode de vie qui leur convient.
Devant ce fiasco médiatique, nous voulons proposer une analyse antifasciste qui saurait réellement contrer la violence transphobe et misogyne des discours masculinistes.
Commençons par énoncer clairement ceci : le masculinisme n’est pas un problème réservé aux médias sociaux. Il n’est que le symptôme de la culture dominante qui s’allie avec l’extrême droite de plus en plus et qui accepte depuis trop longtemps des discours à caractère fasciste ou fascisant. Quand la seule différence entre les discours de certains journalistes du Journal de Montréal et celui des soi-disant ‘alpha males‘ est que les premiers sont plus légitimes à cause de leur affiliation au conseil de presse, on a un réel problème. Et on est confronté·es à l’urgence de trouver des nouvelles stratégies.
Le libéralisme ne sait pas vraiment quoi proposer comme arguments pour s’opposer aux discours fascistes transphobes et misogynes. Premièrement, le libéralisme ne nous sauvera pas, parce qu’on ne peut pas le séparer de ses alliances avec les discours TERF et du féminisme occidental dominant (celui des femmes blanches et bourgeoises). Ces discours n’arrivent jamais réellement à prendre en compte la violence coloniale et capitaliste pour assurer une libération collective.
Deuxièmement, le libéralisme ne nous sauvera pas parce qu’il étire la liberté d’expression dans un relativisme moral : voulant obliger une posture où toutes les opinions auraient la même valeur. Nous soutenons, au contraire, que certaines opinions sont nuisibles aux débats et échanges d’idées — et donc à la liberté d’expression — et qu’elles sont nuisibles aussi de façon très concrète à des vies bien réelles. Nous dénonçons ici ces opinions qui appellent à la délégitimisation de certaines existences (celles des personnes trans ou non-conformes dans le genre) et qui basent leurs argumentaires sur des idées fausses présentées comme des prétendues vérités universelles. Impossible d’argumenter devant ces faussetés qui ignorent l’expérience et la science. Ces opinions amplifient les appels à la haine et renforcent des oppressions au sein desquelles le débat ne peut plus exister. Il doit être dit clairement que ces idées ne sont pas acceptables; la liberté d’expression exige du discernement éthique et des limites qui protègent la continuité des débats et échanges d’idées. On a une liberté et une obligation au débat des idées, mais il n’est plus possible devant la violence du fascisme. Et on met en grave danger nos débats politiques quand on accepte la présence de ces discours.
Alors, donner ou pas la parole ?
Il faut souligner que de connaitre les raccourcis intellectuels et les arguments des fascistes est pertinent pour savoir comment y faire face. Comprendre la montée des discours fascisants est essentiel, tout comme conscientiser les personnes au danger qu’ils représentent.
Mais on ne peut pas adopter une position neutre, comme le fait le documentaire, et encore moins laisser les intervenants ne présenter qu’une partie de leurs points de vue, ceux qui semblent plus innocents. On n’est pas dupes, on sait bien que ces personnes commencent d’abord par propager un discours positif sur l’entrepreneuriat et encouragent leurs adeptes au soin de soi. C’est en créant un sentiment de camaraderie autour de ces idées qu’ils arrivent ensuite à rendre acceptables leurs discours violents. Seuls, ils feraient beaucoup trop réagir.
Un vrai documentaire conscient du danger de donner une tribune à ces gens se doit de présenter un contre-discours solide et approfondi. Notre objectif n’est pas de critiquer le camarade Francis Dupuis-Déry sur sa prise de parole, mais on doit reconnaitre qu’elle a besoin d’être complétée par des présentations concrètes des impacts violents de tels discours sur notre société et d’une réaction explicite à tous les arguments présentés. Un tel documentaire se doit de donner des outils pour se prémunir contre les tactiques de ces discours et d’offrir des pistes de solution concrètes pour une lutte antifasciste.
Et on voit que les erreurs du documentaire ont des effets graves, elles donnent encore plus de plateformes pour expliquer leur discours et rendre leurs idées acceptables. Même si Dupuis-Déry a été invité à Tout le monde en parle, son temps de parole était significativement plus court que celui du mâle alpha. Et les autres journalistes n’ont invité aucune personne trans ou queer pour présenter la violence de ces discours. Les gauchistes sont présentés comme des hystériques qui haïssent les hommes et ne comprennent pas des concepts « biologiques simples », les fascistes de droite sont présentés comme des mal-compris pleins de bon sens. La neutralité journalistique est une vraie blague…
Si l’objectif est de mettre en garde et de “rester vigilant”, comme le mentionne Simon Coutu dans la fin abrupte de son documentaire, la supposée neutralité journalistique ne suffit pas. La critique doit être explicite, le propos sans détour: ces discours sont dangereux et inacceptables. Et il faut les traiter comme tels, comme des ennemis à abattre; les démolir pour les renvoyer là où est leur véritable place : dans les oubliettes de l’histoire.
La lutte antifasciste, dans nos réseaux sociaux comme dans la rue
Ce documentaire nous prouve encore une fois qu’il nous faut proposer des alternatives aux médias de masse et que nous devons rendre accessible le discours antifasciste en investissant une multitude de formats. C’est le mandat que nous nous donnons, et nous lançons l’invitation à tous nos camarades, ici comme ailleurs, à continuer à le faire. Le mouvement antifasciste est une tradition historique qui doit informer nos réflexions actuelles. Il est impératif de se former collectivement à ses tactiques et idées pour établir une masse critique consciente et prête à affronter l’extrême droite.
Cela doit ensuite nous mener à avoir une présence soutenue et massive dans les rues. Chaque fois qu’une manifestation tentera de propager des discours fascistes, c’est notre devoir de la bloquer et d’empêcher les participants de répandre leur violence. Tenir un tel discours doit impliquer des conséquences concrètes si on veut qu’il cesse enfin de circuler.
Il est essentiel de rappeler ici la différence très claire entre l’utilisation de la violence dans ce contexte :
un anti-fasciste n'utilisera la violence qu'aussi longtemps que la personne devant elle lui sera violente dans ses actes et discours publics.
un fasciste n'arrêtera pas d'exercer sa violence tant que nous existerons.
Finissons en paraphrasant les mots de Dupuis-Déry : Si les militant·es écologistes ou antifascistes affichaient clairement des armes sur leurs médias sociaux, tous les médias en parleraient et appelleraient à la répression. Alors pourquoi ce n’est pas le cas quand l’extrême droite le fait, et ce de plus en plus librement ?
On ne prendra pas cette menace à la légère !
On protégera toujours nos communautés !