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Métropolis bleu : Des liaisons dangereuses avec le sionisme

Du 24 au 27 avril se tiendra à Montréal le festival littéraire Métropolis bleu. Fondé en 1996 et ayant tenu sa première édition en 1999, le festival présente des événements littéraires tant en français qu’en anglais, et se targue, dans sa mission, « de réunir les gens de langues et de cultures diverses autour du plaisir de lire et d’écrire, permettant ainsi une plus grande créativité et favorisant une meilleure compréhension interculturelle ».

Dans la programmation de cette année, un événement a attiré notre attention par son titre : « Des liaisons dangereuses : idéologies identitaires et mouvements terroristes ». Cette discussion avec l’écrivain et réalisateur français Michael Prazan porte sur son plus récent livre, La vérité sur le Hamas et ses « idiots utiles ». L’ouvrage, publié aux Éditions de l’Observatoire, affiche sur sa couverture des militant·es masqué·es dont les mains couvertes de sang brandissent des drapeaux palestiniens. 

Ci-dessous, la quatrième de couverture, disponible sur le site de la maison d’édition.

« C'est là que le monde a commencé pour moi à basculer. Dans un monde à l'envers, quand le mal devient le bien, et vice versa. Ce monde où les bourreaux passent pour des victimes, où les victimes sont niées, conspuées, tournées en dérision. "Encore un coup des Juifs?!" pour justifier un "génocide" des Palestiniens préparé de longue date... Un second et interminable pogrom, symbolique cette fois, mais non exempt de fureur et d'exactions, fut encouragé par les relais fréristes implantés en Occident, exalté par une extrême gauche totalitaire grimée en humanisme. Sortie de terre comme un zombie, la bête ancestrale a ressurgi avec son cortège de haines, de complotisme, de négationnisme, de travestissements, de mensonges et de mauvaise foi. Elle n'attendait qu'un boutefeu pour quitter sa tombe ; le Hamas le lui a livré dans un paquet cadeau. Et peu importe qu'il fût taché de sang, d'os broyés et de cendres. C'est l'intention qui compte. » Le 7 octobre 2023, le Hamas perpétrait l'un des pires massacres de l'histoire d'Israël. Michaël Prazan remonte aux origines du mal et dénonce la responsabilité écrasante de ses « idiots utiles » dans la propagation du conflit et la résurgence de l'antisémitisme.

Le livre de Prazan part du postulat que l’extrême gauche et ses dérives identitaires sont contrôlées idéologiquement par le Hamas, organisation qui lui offrirait l’occasion d’exprimer son antisémitisme latent au grand jour. La vérité sur le Hamas et ses « idiots utiles » coche à peu près toutes les cases du discours sioniste le plus nauséabond : banalisation et négation du génocide, panique morale entourant l’organisation de la gauche en solidarité avec la Palestine, neutralisation de toute critique par des accusations d’antisémitisme, démonisation du peuple palestinien.

En s’intéressant à la conférence, on apprend qu’elle va se tenir au Gelber Center (contrairement à la majorité des événements du festival, qui prennent place à l’Hotel10), et qu’elle est organisée en partenariat avec la Communauté Sépharade Unifiée du Québec (CSUQ) et la Fédération Sépharade du Canada. Sur le site de la CSUQ, on peut y lire que « l’un des principaux socles identitaires de la CSUQ est le profond attachement de la communauté sépharade à l’État d’Israël et au peuple israélien ». Quant à la Fédération sépharade du Canada, elle compte parmi ses affiliations la Fédération CJA — dont la mission est de faire la promotion d’une « communauté juive du Grand Montréal engagée, dynamique, diverse et sécuritaire,  profondément liée à Israël […] » — et la World Zionist Organization. Ces deux organisations facilitent notamment l’envoie de dons vers Israël, fournissent des indications sur la façon de déposer une plainte contre les manifestations pro-palestiniennes sur les campus et sont ouvertement sionistes dans leurs discours comme dans leurs actions. 

Il n’est pas évident de déterminer quelles sont les relations de dépendance économique qui unissent le festival à la CSUQ et à la Fédération Sépharade du Canada, puisque le festival n’est pas entièrement transparent sur ses sources de financement et anonymise l’identité d’une partie des donations privées qu’il reçoit (en particulier celles qui s’élèvent à 25 000 $ et plus). Ce qui est certain, cependant, c’est que cet événement participe d’une stratégie d’artwashing inacceptable1. Prétendre avoir une perspective décoloniale et inviter des intervenant·es qui banalisent la colonisation génocidaire de la Palestine est un non-sens.

Le milieu artistique et la gauche radicale ne peuvent pas rester indifférents face la complicité de ses organismes avec des institutions coloniales et doivent s’opposer ouvertement à l’instrumentalisation des artistes et des œuvres à des fins de propagande sioniste. Plus encore, les discours comme celui de Prazan sont dangereux et doivent rencontrer une résistance sérieuse —  en particulier lorsqu’ils bénéficient d’une telle tribune. 

Nous appelons évidemment le festival à annuler son événement, mais nourrissons peu d’espoir quant à cette possibilité, étant donné les liens financiers qui verrouillent très probablement le partenariat entre les institutions susmentionnées et le festival. À l’instar des étudiant·es pro-palestinien·nes, nous savons qu’il y a peu, sinon rien, à espérer des institutions. C’est pourquoi nous n’attendrons pas qu’elles prennent en charge la gestion de notre indignation pour agir.

Sur la page dédiée à la conférence par le Métropolis bleu, une description de l’événement et de Prazan stipule que l’auteur « met en garde contre les liaisons dangereuses auxquelles peuvent conduire certaines idéologies identitaires. Une conférence qui promet ». Si cette conférence promet une chose, c’est d’utiliser un espace culturel pour faire de la propagande sioniste.

Alors, en retour, nous aussi nous faisons une promesse : le Métropolis bleu ne peut pas prétendre avoir à cœur la décolonisation en mettant de l’avant des écrivain·es aux pratiques anti-impérialistes et en affichant sur son site une reconnaissance territoriale tout en acceptant simultanément l’argent sale d’Israël et en invitant des personnalités comme Prazan à s’exprimer, puis s’attendre à ce que nous ne réagissions pas. Nous promettons que tout discours niant le génocide en cours rencontrera une vive résistance de la part de nos communautés littéraires et militantes. 

1 Il ne semble d’ailleurs pas être le seul du genre inscrit à la programmation du festival.
https://metropolisbleu.org/event/jerusalem-the-universal-city-told-by-simon-sebag-montefiore/
https://metropolisbleu.org/event/etz-chaim-kabbalistic-divinity-maps-and-golems-the-tree-of-life-in-safed-prague-and-montreal/
https://metropolisbleu.org/event/the-gabriel-safdie-event-jerusalem-of-the-mind-the-groundwork-for-the-day-after
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Un panel intitulé Black, queer, indigenous: la voix de l’autre, la voix de soi est aussi financé par GardaWorld…

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