Les fiertés sous la loupe du regard militant
*Cet article a été rédigé avant la tenue de la marche trans et pourrait contenir des informations passées date.
Les critiques pleuvent de toutes parts ces dernières semaines contre le festival de Fierté Montréal (qui organise entre autres le défilé de la fierté) et sur l’organisation de la Marche Trans annuelle. Il semble y avoir une certaine surprise et confusion face à tout cela. Essayons donc d’y voir plus clair dans ce premier article de Front Rose. Comprenons ce que sont ces deux entités et ce qui a emmené plusieurs groupes à les dénoncer.
Commençons par le géant qu’est Fierté. Sur son site on peut y lire sa « mission ».
Fierté Montréal amplifie les voix des communautés 2SLGBTQIA+ afin d'assurer leur représentation, leur inclusion et la reconnaissance de leurs droits dans la société.
Derrière ce langage flou d’organisme, observons les faits : Fierté est l’héritier depuis 2007 de Divers/cité qui, en 2006, avait décidé de se redéfinir comme un festival d’art et de culture. Le festival Divers/cité était lui-même apparu à la suite des mobilisations qui avaient suivi le raid policier violent du Sex Garage en 1990. Fierté s’inscrit dans cette lignée de récupération des mobilisations politiques de la communauté en une célébration culturelle. Et maintenant, on a sombré beaucoup plus loin dans la dépolitisation des luttes LGBTQ+. Fierté est essentiellement un festival de culture “LGBT”.
Fierté Montréal n’a jamais été un projet politique et ni la tenue de marches annuelles de la fierté pour célébrer les gains de la communauté, ni les revendications désincarnées inscrites sur son site n’y changent quoi que ce soit. Le festival fonctionne comme tous les festivals capitalistes montréalais, cherchant avant tout à maximiser la fréquentation de ses évènements et la taille de son budget annuel. C’est le paradigme central de son activité, le rendement et la visibilité. Une logique qui ne l’empêche pas donc de prêter de sa visibilité et de sa légitimité en tant que “voix de la communauté” à des institutions capitalistes et oppressives, notamment impliquées dans le génocide en cours en Palestine. C’est ça qu’on appelle le PINKWASHING. La Banque TD, le groupe sioniste gay Ga’ava, Tourisme Tel-Aviv, et d’autres seront du défilé cette année.
La police, la classe politique et différents oppresseurs quotidiens de nos communautés seront aussi du défilé. Fierté n’a rien changé cette année aux années précédentes, c’est la conscience des gens qui est en train de changer. Fierté a toujours été complice de l’horreur et associée à des institutions aux mains tachées de sang. Alors pourquoi les dénonciations viennent-elles cette année ? L’horreur du génocide en Palestine, le bombardement d’images atroces sur les réseaux, la taille que les mobilisations ont prise et l’engagement de beaucoup de groupes/individus des communautés LGBT dans celles-ci rendent impossible à ignorer la complicité matérielle de Fierté avec le projet sioniste, ou sa place dans la machine de propagande israélienne. Organismes communautaires, groupes militants, organisations politiques, collectifs, artistes, syndicats et autres ont appelé à un boycott du défilé ou s’en sont retirés.
D’autres ont appelé à une participation critique et vocale dans le défilé pour y forcer le sujet de la Palestine. Ailleurs, les défilés ont été bloqués ou perturbés, comme à Victoria où des militant·es ont bloqué le char de TD (souvent visé spécifiquement vu les millions investis dans l’industrie de l’armement) et, par le fait même, interrompu le défilé. Cela aurait apparemment mené au retrait de TD du défilé d’Halifax, par peur de voir l’action y être répétée. Le cas de Fierté est clair, et ce, depuis longtemps. Cette institution ne sert qu’aux artistes assez gros pour y performer, aux corporations qui y trouvent un vernis de gay friendly, aux business du village et à l’image de la ville, mais elle n’a jamais rien gagné pour nos communautés. Espérons que les critiques continueront dans les années à venir ! Il est passé le moment de se révolter contre cette farce de représentation.
Le cas de la marche trans est très différent. La marche trans a été créée comme une initiative militante. Cette marche annuelle a été lancée en 2014 et portée, pour la majorité de son histoire, par le collectif euphorie dans le genre (un collectif ayant pour but la promotion des droits et du bien-être des personnes trans et issues de la diversité de genre). En 2014, le simple fait de rassembler la communauté trans et de revendiquer une prise de parole publique symbolisait une initiative combative face aux tactiques employées par les milieux trans alors. Depuis, et malgré un travail sérieux de la part de militant·es, la marche trans semble ressembler de plus en plus à un simple défilé de la communauté trans. Cette tradition parait s’être cristallisée et avoir de la misère à s’adapter aux changements du moment. Mais ce n’est pas ça qui a causé la critique, pas directement.
Les informations sur la situation au sein de l’organisation de la marche 2024 sortent au compte-gouttes et sont assez floues. Ce qu’on sait en ce moment, c’est que certain·es des organisateurs·trices auraient bloqué les efforts de mettre de l’avant la question palestinienne au sein de la marche. Un·e aurait tenu des propos ouvertement racistes envers la communauté palestinienne. Cette situation aurait fini par pousser une partie des organisateurs·trices à quitter l’organisation de la marche. Que faire de cette situation ? La question du racisme d’une partie des organisateur·trices est clairement centrale dans cela, mais ne suffit pas à expliquer le fait que cette logique a su l’emporter au sein de l’organisation. Est-ce que l’apolitisation de la marche trans expliquerait plus largement comment cela a pu s’installer ?
On ne devrait pas être trop surpris·es qu’une manifestation liée à de nombreux organismes trans, généralement très frileux de s’engager dans les efforts politiques allant au-delà de l’immédiat de leur mission, n’aille pas su rapidement et clairement soutenir la cause palestinienne. La marche trans n’a pas su s’adapter à la politisation et à la radicalisation d’un large pan de la communauté qui se dote en accéléré d’une conscience politique au travers des luttes récentes. Reste à savoir si cette marche historiquement importante saura être réactualisée et repolitisée. Ceci dit, il y a quelques choses à célébrer dans la prise de parole de nombreux groupes face à la situation et dans la mobilisation d’un contingent anti-capitaliste et anti-colonialiste qui s’annonce large cette année. Espérons y voir le début de quelque-chose, et bien sûr, vive la Palestine libre !