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Mon expérience avec Fierté et la violence

par Abe

Quand je me suis levé et que j’ai vu la déclaration de Fierté Montréal, j’étais content. Faute de mieux, c’était quand même le signe d’un soutien plus large à la Palestine. Mais j’étais aussi en colère. Fierté ne peut pas prétendre avoir toujours soutenu le peuple palestinien. Iels n’ont pas « toujours été clairs », ni « amplifié les voix des communautés queer qui […] expriment leur soutien aux peuples opprimés ». Pour une déclaration à propos d’un génocide, c’est remarquablement égocentrique. On y apprend surtout que la Fierté « s’inscrit dans un mouvement historique de lutte contre les oppressions », qu’elle demeure « un espace sûr et festif pour tous » et qu’elle veille à « la sécurité émotionnelle et physique des communautés ». Avec l’émergence de la Wild Pride, ça ressemble surtout à de la gestion de crise pour que les Gen-Z woke n’abandonnent pas le bateau.  

L’an dernier, j’ai participé à l’une des Journées communautaires en tant que token blanc pour défendre Helem MTL contre le harcèlement raciste et anti-arabe dont iels sont généralement la cible dans ce genre d’événement. Plus tard, mon ami et moi avons fait le tour des tables. Nous sommes passés devant celle de l’armée alors que celleux qui tablaient tentaient avec enthousiasme de recruter des participant·es. Le SPVM y tenait aussi une table — des policiers en uniformes se pressaient, les mains enfoncées dans leur col, les coudes bien écartés.

Nous nous sommes éventuellement arrêtés à la table de Radio-Canada, qui avait diffusée plus tôt cette année « Trans Express », un documentaire alarmiste présentant les personnes transmasculines comme des jeunes filles vulnérables, atteintes de troubles mentaux, et qui a dûment instrumentalisé ses sources. Pourtant, ce documentaire n’a pas coûté à Radio-Canada sa place lors des Journées communautaires — je me demande jusqu’où Fierté est prêt à aller en matière de transphobie médiatique. En même temps, le SPVM nous attaque régulièrement avec des insultes transphobes pendant les manifs — mais on les accueille à bras ouverts, et ils ne se gênent pas pour se montrer bruyamment présents lors des Journées communautaires. Peut-être qu’en fait, il n’y a tout simplement pas de limite.

Plus tard ce mois-là, j’ai tenu une bannière pendant l’action de perturbation du défilé. Sans provocation dont je me souvienne, le SPVM nous l’a arrachée des mains. Instinctivement, je me suis accroché à la bannière — c’était la notre. J’ai été puni pour ça. Un coup de matraque dans le ventre. Le coup était assez fort pour briser l’écran de mon cell que j’avais rangé dans la poche avant de mon hoodie. Un policier m’a frappé au poignet. J’ai chuté dans la foule, qui s’est resserrée autour de moi pour m’empêcher de tomber. La vidéo de l’incident a beaucoup circulé. J’y parais plus petit que dans mes souvenirs. Je suis sans défense. Je ne représente aucune menace pour la ligne d’anti-émeute. Je tombe, et ils se saisissent de la bannière. Mon poignet est foulé. 

Pendant ce temps, un·e employé·​​​​​​​e de Fierté discute avec une de nos liaisons. Les deux n’ont pas l’air très contents. Nous sommes pris à partie par une foule étonnamment nombreuse, dont les plus motivés quittent leur place pour nous suivre et nous insulter. Ce sont presque exclusivement des hommes blancs, gays, d’un certain âge. Fierté semble attirer ce genre de foules en masse. 

Au mieux, Fierté n’a pas applaudi la police — contrairement au petit groupe d’hommes gais qui nous encerclait. À la place, iels ont simplement fait dévier le parcours du défilé pour que personne ne soit témoin de notre brutalisation​​​​​​​. Après l’action, le SPVM a déclaré aux médias qu’il n’y avait eu aucun blessé. Fierté n’a jamais cru bon de corriger l’information, même si les vidéos qui me montrent, moi, en train de me faire frapper, et d’autres en train de se faire brutaliser plus violemment encore, circulaient partout.

En lisant leur déclaration, je me dis que Fierté veut peut-être faire mieux. Or, l’an dernier, iels ont offert une tribune à la violence et à la brutalisation : en invitant la police aux Journée communautaires, en se montrant particulièrement complaisant·​​​​​​​e envers les hommes cis, en donnant de la crédibilité à des partenaires transphobes. Je ne cherche pas minimiser la réalité des gays au SPVM ou à Radio-Canada. Leur sexualité n’est pas un choix, mais ça ne fait pas d’eux une communauté pour autant.

Peut-être que la société finira par diaboliser à nouveau suffisamment la queerness pour que les commanditaires abandonnent Fierté — avant que Fierté ne les laisse tomber. Mais quoi qu’il arrive, je ne pleurerai pas l’effondrement de ce château de cartes. Et on reconstruira. 

Employé·es de Fierté : pourquoi ne pas abandonner cette marque, bâtie sur du sang — au sens propre comme figuré — et plutôt contribuer à une véritable Fierté ?

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