Pas qu’une histoire de syndicat !
S’organiser après le 29 novembre.
Entre 50 000 et 70 000 personnes sont descendues dans les rues de Montréal le 29 novembre dernier pour exprimer leur colère contre le CAQ lors d’une grande manifestation syndicale. Pour l’occasion, près de 200 autobus en provenance de diverses régions du Québec avaient été nolisés par les principaux syndicats de la province.
Outre cette forte présence syndicale, il faut également souligner celle des groupes communautaires et de la « société civile », ainsi que celle de divers cortèges composés notamment de personnes étudiantes, migrantes, antifascistes, pro-palestiniennes et queer.
Cette forte présence du milieu militant semble d’ailleurs avoir heurté Richard Martineau. Dans un échange avec la militante d’extrême-droite et pseudo-journaliste Alexandra Lavoie sur les ondes QUB Radio1, l’animateur s’indigne d’une telle présence, qu’il n’arrive pas à s’expliquer dans le contexte d’une mobilisation syndicale. On ne s’étonnera pas que Martineau demeure incapable de dépasser une lecture étroitement simpliste du mouvement, à l’image d’une large partie des médias et de la classe politique.
Or cette lecture simpliste ne traduit pas seulement une incapacité à mener une analyse de fond. Elle est le reflet plus large de la dérive à droite des grands médias. Dans les journaux, à la radio et sur les plateaux de télé, la machine idéologique de l’empire s’est obstinée à faire de cette mobilisation un plébiscite sur la confiance du public envers les directions syndicales — la seule question semblant être, pour elleux, de savoir si le gouvernement se doit d’intervenir pour « assurer la bonne gestion » des organisations syndicales, et, le cas échéant, jusqu’à quel point. Cet exercice, facilité par la forte présence des directions syndicales dans les médias, occulte toutefois l’ampleur de l’opposition au régime caquiste et le sérieux de la conjoncture politique. Le projet de loi 3 n’est, en réalité, que l’arbre qui cache la foret.
Il suffit d’apprécier les images de la manifestation du 29 novembre pour comprendre que les revendications portées par les dizaines de millier de manifestant·es dépassaient largement le simple retrait du projet de loi.
L’austérité vient en tête de ces préoccupations. Or les médias n’en parlent presque pas. C’est silence radio. Plusieurs commentateur·ices politique de gauche ont pourtant bien montré en quoi le projet de loi 2, qui vise à réformer le financement du système de santé, constitue une mesure d’austérité déguisée — au même titre, d’ailleurs, que l’avait été l’augmentation des frais de scolarité imposée l’année dernière aux étudiant·es étranger·ères et hors province. Certaines cliniques à vocation sociale ont déjà annoncé qu’elles allaient devoir fermer leurs portes. À ces mesures austéritaires s’ajoute le projet de loi 7, qui entrainera vraisemblablement d’importantes coupes dans la fonction publique et fragilisera encore davantage le financement accordé aux groupes de défense de droit.
L’opposition à la nouvelle offensive islamophobe du ministre Jean-François Roberge n’était pas en reste. Les syndicats avaient d’ailleurs clairement manifesté leur opposition aux politiques islamophobes du gouvernement caquiste et, plus largement, aux attaques sur les personnes migrantes (l’abolition du PEQ, par exemple). Or, encore une fois, les médias sont restés silencieux.
Un autre axe majeur de cette grande mobilisation nationale était l’opposition aux dérives autoritaires du gouvernement caquiste — des dérives qui culminent, aujourd’hui, dans le projet de loi 1, lequel vise à créer une « constitution québécoise » qui aurait essentiellement pour effet de rendre l’opposition au gouvernement plus difficile. La loi 14, récemment rentrée en vigueur et qui s’attaque au droit de grève, constitue également une source importante d’inquiétude pour le milieu syndical, en plus de s’ajouter aux autres exemple des tendances autoritaires du gouvernement Legault.
D’ailleurs la manifestation du 29 novembre s’inscrivait dans le contexte plus large de l’appel à la mobilisation « Faire front pour le Québec » lancé par la CSN dont les revendications dépassent largement la seule opposition au projet de loi 3.
De plus en plus de Québécoises et de Québécois ont du mal à se loger et à joindre les deux bouts. Nos services publics sont affaiblis par l’austérité et la centralisation. Nos gouvernements ne font rien face à la crise climatique.
Nous ne pouvons rester silencieux devant des gouvernements qui jettent l’éponge au lieu de résoudre les problèmes qui préoccupent les gens. Nous devons faire front.
Nous devons faire front pour le Québec qu’on veut.
Nous allons faire front pour un Québec qui fait un meilleur partage de la richesse pour aider tout le monde à joindre les deux bouts plutôt que de casser les syndicats. Faire front pour avoir un gouvernement qui passe moins de temps à se pavaner avec les patrons.
Nous devons faire front pour un Québec qui s’occupe de son monde et qui mise sur nos services publics en cessant de nourrir la bête de la privatisation.
Nous allons faire front pour la planète et pour que nos gouvernements cessent de remettre les actions à mener face à la crise climatique. Nous allons faire front pour un Québec qui se relève les manches et développe de grands projets de transport collectif.
La CSN fait front pour un autre Québec. Un Québec d’abord et avant tout pour celles et ceux qui le façonnent chaque jour : les travailleuses et les travailleurs.
– CSN, « Faire front pour le Québec »
Qu’est-ce qui explique cet axe médiatique ?
Il faut comprendre le traitement médiatique et politique de cette mobilisation pour ce qu’il est : un subterfuge.
On peut, évidemment, apprécier les piques de la présidente de la FTQ, Magalie Picard, à l’endroit du ministre Jean Boulet et reconnaître la capacité des centrales à mobiliser leurs membres. Mais, il faut à tout prix refuser que le cadre de la lutte ne se réduise à un bras de fer entre les directions des syndicats et le gouvernement. D’une part, ce cadrage occulte le fait qu’il s’agit avant tout d’une lutte portée par les bases syndicales, et non par une poignée de dirigeant·e·s. D’autre part, un tel cadrage risque de permettre au gouvernement de désamorcer la mobilisation en cours en ne concédant que quelques ajustements cosmétiques au projet de loi 3, sans rien céder sur le fond. Dans un tel scénario, la CAQ réussirait à faire adopter un projet liberticide en se donnant des airs de flexibilité, voir d’un gouvernement qui accepte les compromis.
Il s’agit essentiellement d’une reprise de la stratégie trumpienne du flood the zone, qui consiste à inonder l’opposition, les médias et la population d’un flot continu de projets de lois et de réformes. L’objectif est de fragmenter la capacité de réaction des contre-pouvoirs, qui ne peuvent alors se mobiliser que sur une partie des propositions — laissant les autres être adoptées en toute discrétion.
Laisser le débat se concentrer sur le projet de loi 3 — ou, plus largement, sur les seules questions syndicales — c’est courir le risque de perdre beaucoup sur les autres fronts.
Que faire alors ?
La première étape consiste à continuer de nommer l’ensemble de nos revendications contre le régime. Et ce, à toutes les occasions qui se présentent. Il s’agit, par ailleurs, d’expliciter clairement que notre opposition vise non seulement le gouvernement Legault dans sa totalité, mais aussi à toustes celleux qui partagent leur vision et leur projet de société — le PQ en tête.
Dans un deuxième temps, il faut (continuer à) s’organiser en dehors des structures syndicales. S’organiser, non seulement pour être présent·e·s en grand nombre dans les rues lors des prochaines mobilisations syndicales, mais aussi pour soutenir les militant·e·s issu·e·s de la base syndicale qui souhaitent aller plus loin que la stratégie des centrales. S’organiser, enfin, pour soutenir les autres mobilisations populaires, voir en proposer de nouvelles. Il est, en ce sens, primordial d’investir les prochaines dates annoncées par le reste des forces progressistes. On pense notamment à la semaine de grève annoncée par les groupes en Défense Collective des Droits (DCD) du 2 au 6 février prochain, à la semaine de grève étudiante appelée par la CRUES en mars, ainsi qu’aux mobilisations à venir contre l’abolition du PEQ.
Il est temps de rappeler que ces luttes sont, en bout de ligne, toutes unies de par leur opposition à un ennemi commun. Il est temps d’organiser la convergence des luttes.
Finalement, il faut se préparer à rendre la province ingouvernable au printemps. Il faut faire déborder la lutte, dépasser les seules manifestations et empêcher que ce soit business as usual. À ce titre, il faut dès maintenant mettre la main à la pâte pour s’assurer que l’appel à la grève sociale du 1ᵉʳ mai soit entendu, soutenu et adopté par l’ensemble des forces progressistes de la province.
La grève sociale — faut-il le rappeler — c’est plus qu’un simple appel aux travailleur·ses syndiqué·es à faire grève. C’est un appel à une grève politique et totale ! Il revient donc à l’ensemble des forces progressistes de s’en saisir.
Un grand coup a été porté le 29 novembre, mais ce n’est qu’un début. Saisissons-nous de l’énergie de cette mobilisation pour nous donner de la force ! Organisons-nous partout. N’attendons pas la fin du printemps pour agir.
Mais ayons en tête que le 1ᵉʳ mai, on bloque tout !
[1] Extrait que nous avions pu écouter en ligne avant qu’il ne soit retiré.
