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Poilièvre, le fascisme et nous

Écocide accéléré, colonialisme sans gêne, attaque sur les communautés trans, durcissement des frontières et de l’état policier sur fond de fascisme croissant : les prochaines élections annoncent le début d’une nouvelle ère de politique canadienne.

Tout le monde se doutait de cette éventualité, mais désormais, c’est confirmé : le premier ministre Justin Trudeau a annoncé sa démission et des élections devraient se tenir ce printemps. Le résultat de ces élections est presque assuré depuis l’année dernière. Les libéraux, après une décennie de gouvernance néo-libérale voilée de progressisme, mais marquée par un durcissement de ses tendances réactionnaires (sur la Palestine, la police, les enjeux autochtones, etc.), ont épuisé toute la sympathie que leur ont valu les fausses promesses de Trudeau. 

Le NPD, incapable d’assumer d’occuper le réel champ gauche de la politique fédérale, n’est devenu qu’une simple coquille vide, presque indifférenciable des Libéraux. Ce climat politique, qui s’accompagne d’un rabattage médiatique des thèmes conservateurs (immigration, insécurité, islamophobie, transphobie, wokisme) et des discours réactionnaires, a préparé le terrain pour une victoire conservatrice qui sera sûrement écrasante. Ceci alors que le Parti conservateur du Canada (PCC) tient les positions les plus à droite et populistes de son histoire récente. 

En d’autres mots : l’heure est grave et nous entamons un nouveau pas dans la marche vers le fascisme.

Essayons ici de faire le point sur la situation depuis une perspective militante queer révolutionnaire et de réfléchir à la réponse demandée par un tel moment politique.


Où en sommes nous ?

Les libéraux ne sont pas et n’ont jamais été les ami·es des opprimé·es, de la gauche et des classes prolétaires. Ils représentent au contraire les intérêts d’une section des classes dominantes, la bourgeoisie urbaine, côtière et libérale, le monde des affaires, de la haute technologie du commerce international et plus largement des élites canadiennes dites “progressistes” qui n’ont de progressiste que leur intérêt matériel à vivre dans une société pacifiée. Ceci dit, la politique canadienne a tendance à être extrêmement apaisée et, malgré tous les travers du gouvernement Trudeau (sur la Palestine, les projets de pipeline, le traitement des peuples autochtones, et sa gouvernance généralement capitaliste), ses neuf ans de règne ont été marqués par un effort visant à maintenir la paix sociale canadienne. 

L’élection de Poilièvre a le potentiel d’avoir l’effet, au Canada, que l’élection de Trump a eu en 2016 aux États-Unis. L’extrême-droite est présente dans les gouvernements provinciaux, les médias, la bourgeoisie d’affaires, au sein des mouvements de rue et elle sera bientôt à la tête du gouvernement canadien. Cette extrême-droite renforcée et sans opposition structurelle représente une menace majeure qui plane sur toutes les communautés marginalisées, sur les mouvements sociaux, sur les pauvres et sur le filet social (maigres vestiges du projet de la sociale-démocratie canadienne). Nous pouvons nous attendre à voir l’ordre familial, policier, capitaliste et raciste se renforcer, non seulement au niveau gouvernemental, mais aussi dans les sphères privées, professionnelles et culturelles de la société canadienne. Poilièvre, comme Trump aux États-Unis, Le Pen en France, Orban en Hongrie ou Paul Saint-Pierre Plamondon (PSPP) au Québec, n’est ni la cause ni la finalité de la fascisation de la société, il est plutôt la cristallisation d’une tendance profonde qui prend de l’ampleur depuis deux décennies et nous menace quotidiennement. Nous devons donc nous préparer à un combat bien trop large pour être résumé simplement par “s’opposer à Poilièvre”.

Cependant, il faut être conscient-es de la nature du projet mis de l’avant par lui.

Son programme, une fois au pouvoir, implique :

Une attaque sur les droits des prisonnier·ères et un durcissement de l’état policier.

« Stopper le crime ». Il s’agit de l’une des quatre priorités que Pierre Poilievre énonce en préambule de ses conférences de presse de façon systématique. Comment ? En faisant ce qu’aucun gouvernement à Ottawa n’avait osé faire jusqu’à présent : en ayant recours à la disposition de dérogation pour resserrer le régime des libérations conditionnelles, rétablir des peines minimales obligatoires et des peines d’emprisonnement successives. Stephen Harper a échoué sur ces enjeux. 

– La Presse (1)

Une attaque sur l’accès aux services de santé

Mais il entretient le flou quant à l’avenir du programme national de soins dentaires et du programme d’assurance médicaments, soutenant que ces deux mesures n’existent que sur le papier.

Par ailleurs, il écarte l’idée d’élargir l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de démence, comme le souhaite le gouvernement du Québec. En ce qui a trait à la crise des opioïdes et à la consommation d’autres drogues, un gouvernement conservateur consacrerait ses efforts au traitement des individus aux prises avec des dépendances et jetterait aux orties les sites de consommation supervisée — la solution mise de l’avant par Ottawa pour éviter les surdoses accidentelles et réduire la propagation de maladies infectieuses comme le VIH/sida. 

– La Presse (2)

Un abandon du peu de mesures de protection de l’environnement, un investissement dans les fausses solutions techno-capitalistes et un soutien d’autant plus fort à l’industrie pétrolière.

Pour l’heure, le plan conservateur en matière de lutte contre les changements climatiques mise essentiellement sur le développement et l’adoption de nouvelles technologies pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. On ignore si Pierre Poilievre ferait sienne la cible établie par le gouvernement Trudeau, soit réduire de 40 % à 45 % les émissions de GES d’ici 2030, par rapport au niveau de 2005. Un gouvernement conservateur promet aussi une seule étude environnementale pour un projet de développement de ressources naturelles dans une province et mettra tout en œuvre pour faciliter la construction de nouveaux pipelines.

– La Presse (3)

"On peut vendre quelque chose 200 % ou 300 % plus élevé en Europe si on fait les exportations outre-mer au lieu de donner tout notre gaz aux Américains et de leur permettre d’avoir tout le profit. C’est ridicule, ce que nous faisons", a-t-il affirmé en début d'entrevue samedi matin.

[...] 

"Nous devrions ramasser la production ici. Je vais donner le feu vert aux projets de GNL [gaz naturel liquéfié] ici au Québec et à travers le Canada et je vais essayer de convaincre le gouvernement du Québec aussi", a-t-il poursuivi.

– Radio-Canada (4)

Un soutien endurci aux projets génocidaires de l’état sioniste, notamment avec un discours guerrier appelant à l’expansion de la guerre et une attitude belliqueuse à l’international.

On peut s’attendre au retour d’un parti pris immuable en faveur de l’État hébreu sous la houlette de Pierre Poilievre : abolition de l’aide financière à l’agence de l’ONU pour les Palestiniens (UNRWA) et appui inconditionnel à Israël au sein des instances onusiennes. Le chef de l’opposition est même allé jusqu’à demander à Israël d’offrir un « cadeau à l’humanité » en bombardant des sites nucléaires iraniens. 

[...] 

Face à la Chine, la ligne dure est au menu. « Il est devenu évident que nous devons nous opposer au gouvernement communiste de Pékin », a déclaré en juin 2023 Pierre Poilievre, au 34e anniversaire du massacre de la place Tiananmen. 

– La Presse (5)

Une attaque sur les migrant·es les plus précaires.

La position conservatrice sur l’immigration est longtemps demeurée floue après l’arrivée de Pierre Poilievre. Mais depuis l’automne, il a ajouté le système d’immigration à la liste des choses qui ont été « brisées » par Justin Trudeau. Les cibles conservatrices n’ont pas été définies, mais le 24 octobre dernier, alors que le gouvernement annonçait une baisse des cibles d’immigration permanente, il a affirmé ceci en point de presse à Toronto : « Nous aurons une formule mathématique qui permettra de faire en sorte que la croissance de la population ne dépasse jamais la disponibilité des emplois, des logements et des soins de santé. » 

Le dirigeant, qui souhaite reconquérir des communautés urbaines à forte proportion de nouveaux arrivants perdues aux mains des libéraux ces dernières années, a aussi laissé entendre en août dernier lors d’un entretien avec Radio-Canada qu’il réduirait « massivement » le nombre d’immigrants temporaires, dont l’afflux est selon lui « hors de contrôle ». 

– La Presse (6)

Une attaque des médias publics, du financement des petits médias, des protections contre les discours haineux et du travail journalistique.

Dans les rassemblements conservateurs, c’est LA promesse qui déclenche à tout coup un tonnerre d’applaudissements : couper les vivres au réseau CBC.  

[...]

Des projets de loi adoptés sous les libéraux passeraient à la trappe. Ce sort attend C-11, la loi sur la diffusion en ligne qui accorde trop de pouvoirs à un CRTC « woke », dixit Pierre Poilievre. Le projet de loi C-63 sur la haine en ligne, s’il est adopté, serait aussi abrogé.

Exit, aussi, les programmes d’aide aux médias écrits sous forme de crédits d’impôt. « Les conservateurs ne croient pas que l’argent des contribuables canadiens devrait aller aux organisations médiatiques », a tranché le dirigeant conservateur en février dernier. 

– La Presse (7)

Même si cet aspect est moins assumé dans son programme, on peut aussi s’attendre à une attaque visant le droit syndical, les conditions des travailleur·es, les protections légales pour les minorités francophones (à l’image de la gouvernance de Ford en Ontario), une attaque sur la souveraineté autochtone et une éventuelle réouverture du débat sur l’avortement et autres sujets moraux liés à la famille.

Évidemment, on sait très bien qu’un gouvernement conservateur va aussi représenter une attaque généralisée sur les droits des communautés trans : une discrimination légale, une coupure dans l’accès aux soins de santé et une accélération de la démonisation en cours.

Conservative Leader Pierre Poilievre stepped into the debate over trans rights on Wednesday, saying "biological males" should be banned from women's sports, change rooms and bathrooms. 

"Female spaces should be exclusively for females, not for biological males," Poilievre said in Kitchener, Ont. 

The Conservative leader made the comments after being asked if, as prime minister, he would introduce legislation to prevent "transgender women" or "biological men" from participating in female sports or entering female prisons and shelters. 

"A lot of the spaces … are provincially and municipally controlled, so it is unclear ... what reach federal legislation would have to change them," Poilievre said. 

"But obviously female sports, female change rooms, female bathrooms should be for females, not for biological males," he added. 

– CBC (8)

Les conservateur·es étaient d’ailleurs nombreux·ses parmi les manifestant-es transphobes du 20 septembre 2023 et ont participé à accélérer et amplifier les discours transphobes et éliminationnistes. Depuis, le parti et son dirigeant ont soutenu les différentes mesures d’attaques contre la jeunesse trans mises de l’avant dans plusieurs provinces canadiennes.

Un régime de Poilièvre signifie certainement l’état de crise pour nos communautés trans et queer. La situation est d’autant plus alarmante si elle coïncide avec la prise de pouvoir de premier·ères ministres transphobes au niveau provincial (Danielle Smith et Paul Saint-Pierre Plamondon, notamment) et avec un gouvernement Trump encore plus radicalisé sur la transphobie qu’à la fin de son dernier mandat.

Nous sommes l’ennemi intérieur.

La résistance n’est pas une option, il s’agit d’une nécessité. Il va falloir agir !

La question devient alors : comment s’y prendre ?

Nous devons bâtir l’opposition dans la rue.


Si vous avez suivi les efforts de mobilisation contre le comité des sages, vous allez être familier·ères avec le reste de ce texte, puisque je souhaite ici remettre de l’avant une idée qui était au coeur de cette campagne. Nous sommes sous attaques et nous devons nous rassembler pour résister. Pas juste au sein de la communauté trans mais dans une alliance beaucoup plus large. Nos communautés, les communautés queer et trans, mais aussi militantes, et plus généralement les communautés marginalisées ne sont pas dans une position permettant de résister à la vague fasciste par elles-mêmes, de manière isolée. Il est plus qu’impératif de faire face à la menace réactionnaire collectivement.

Aucun parti ne va nous sauver. Aucune institution ne se dresse entre nous et la violence de l’État.  Le fascisme ne meurt pas neutralisé par le libéralisme d’état. Nous sommes le seul espoir que nous avons de ressortir des prochaines années renforcé·es ou tout du moins sans perdre de terrain. C’est le mouvement social dans toutes ses formes, ses branches, ses courants et ses silos qui peut espérer faire face à la menace d’un gouvernement d’extrême-droite. Le courage dont nous pouvons faire preuve pour agir sur notre situation est la force de la rue, de nos communautés. Nous devons ardemment commencer à construire des alliances et former un front de luttes larges contre la vague réactionnaire.

Le gouvernement derrière ce comité est le même qui détruit les milieux de la santé et de l’éducation. C’est le même gouvernement qui s’attaque aux droits des locataires. C’est le même gouvernement qui s’attaque à la liberté religieuse des minorités et qui s’oppose à tout effort de paix en Palestine. Nous souhaitons inscrire cette lutte dans une perspective de solidarité et créer un front commun face aux dérives autoritaires et réactionnaires du pouvoir !

Nous revendiquons la libération trans. En ce sens, nous voulons bâtir un monde qui accueille les individus dans leur diversité et défend leur droit à disposer de leurs corps. Nous voulons aussi créer une société qui accompagne les gens dans leur exploration et affirmation de genre. Nous considérons que se libérer de l’imposition d’une stricte binarité de genre est bénéfique pour l’ensemble de la population. Nous continuerons de lutter pour un monde qui ne sème pas le mal-être, l’inconfort et la haine, mais qui nourrit la joie et l’euphorie. 

Nous appelons à un soulèvement contre la CAQ et son comité de soi-disant “sages”. Nous appelons à l’auto-organisation de toustes celleux qui veulent lutter contre la transphobie. Nous vous invitons à former des groupes affinitaires, à mobiliser vos organisations et à créer des comités. Par la diversité des tactiques, nous comptons faire reculer ce gouvernement  et construire un futur pour toustes ! 

– Extrait de l’appel à la mobilisation de Nous ne serons pas sages (9)

Un an plus tard, il reste toujours aussi pertinent d’appeler à la formation de comités, à l’auto-organisation et à la mobilisation au sein des organisations (syndicales, étudiantes, communautaires, etc.). Mais il va aussi falloir s’organiser de manière intelligente, sur le temps long, en bâtissant des alliances fortes et autour de stratégies révolutionnaires.

L’ennemi ici n’est pas un comité, une cible ou un projet de loi, mais un régime politique complet, avec son projet de société. Alors, on ne peut pas se contenter d’une petite convergence spontanée ou d’une implication momentanée. Pour nous opposer, il faudra du courage, de l’ingéniosité, du sérieux et beaucoup, beaucoup de travail. Il faudra aussi finalement laisser derrière nous tout ce qui a mis des freins et des limites à nos mobilisations dans les dernières années.

On ne gagnera pas en prônant le lobbyisme et la consultation. On ne gagnera pas par les voies du moralisme, du discours, ou en essayant de plaire à une prétendue opinion publique construite par l’appareil médiatique. On ne gagnera pas en invoquant la pureté de nos coeur ou l’apaisement. Il va falloir se battre et accepter de troubler l’ordre. Il va falloir aussi accepter de faire des alliances inconfortables et de se mettre en jeu. Nous verrons alors si les organismes et les organisations politiques assumeront des prises de risque, assumeront de soutenir les mobilisations ou chercheront (en vain) à s’en dissocier.

Nous en sommes arrivé·es au temps de l’engagement politique, de la formation de comités locaux, du rassemblement des forces, de l’attaque constante et de l’expansion de nos luttes. Nous en sommes aussi arrivé·es aux temps du travail par la base, de l’élan vers les gens, de l’organisation collective pour répondre à nos besoins sans attendre de soutien d’un État de plus en plus hostile. Nous en sommes arrivé-es aux temps des larges alliances, des fronts communs, des assemblées, des réseaux, des compromis. Nos ami-es sont peu nombreux-ses et nous devons cultiver ces relations, sans pourtant jamais renier notre autonomie d’organisation.

Nous en sommes arrivé·es au temps de la rue.

Nous en sommes arrivé·es au temps de la résistance.

Courage camarades, les dés ne sont pas jetés et nous pouvons agir sur l’histoire.

Amour et rage.

(1) https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2025-01-06/les-grandes-priorites-d-un-gouvernement-poilievre.php
(2) Ibid.
(3) Ibid.
(3) https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2132084/gnl-quebec-parti-conservateur
(4) https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2025-01-06/les-grandes-priorites-d-un-gouvernement-poilievre.php
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) Ibid.
(8) https://www.cbc.ca/news/politics/poilievre-ban-trans-women-sports-bathrooms-1.7120972
(9) https://pas-sages.info/en/appel/

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